Tribunal judiciaire de Paris, 30 et 31 mai 2024
Colloque 2024 : « Protéger les enfants en 2024 : l’office du juge à réinventer ? »
Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille (AFMJF)
Quelques assesseurs y étaient présents au milieu d’un public essentiellement constitué de juges des enfants.
30 mai
Matin
En introduction et afin de mettre en situation les problématiques du colloque, Véronique Blanchard, historienne (Titulaire d’une chaire de Professeure Junior en Histoire contemporaine – Child studies à l’Université d’Angers) a retracé avec beaucoup de précisions l’histoire du juge des enfants, les moments de lutte et de mutations de la fonction depuis sa création : période de « la maturité » (des années 1950 aux années 1990) et « crise de la cinquantaine (des années 1990 à 2020).
L’exposé et les discussions qui suivirent, y compris dans les ateliers suivants, mirent en avant la mutation historique entre un juge « cesbronien » et un juge « garantiste ». Le premier s’incarne dans la fonction paternaliste du juge telle que décrit par Gilbert Cesbron en 1954 dans le roman “Chien perdu sans collier” et incarné à l’écran par Jean Gabin dans le film éponyme de Jean Delannoy (1955). La seconde figure, est celle du juge « garantiste, » qui s’écarte de ce « paternalisme » dans la mesure où la garantie de l’équité et le respect des droits des victimes et des prévenus deviennent centraux.
La trajectoire ne semble toutefois ni linéaire ni achevée, les diverses expériences exposées par Véronique Blanchard témoignant de pratiques plutôt “maternantes” (accueil de prévenus chez le juge…) dans le dernier quart du siècle dernier ou de procédures omettant la parole des enfants, y compris dans les fonctionnements actuels.
TABLE RONDE – La prospective de la prospective de l’enfance
Baptiste Cohen (dir. de projet, Apprentis d’Auteuil) et Katy Lemoine (directrice de l’association Chantelair), Chloé Sallé (juge des enfants), Myriam Bouali (directrice de l’enfance et de la famille de la Seine-Saint-Denis).
Constats des praticiens – confrontation – présentation des scénarii et illustration par chacun des intervenants.
I – Baptiste Cohen (directeur de projet, Apprentis d’Auteuil) et Katy Lemoine (directrice de l’association Chantelair) : présentation du rapport sur la démarche prospective : La protection de l’enfance en 2035
Démarche prospective : Qu’est-ce que l’on veut que l’enfant devienne ?
Constat : crise protéiforme : mesures non effectuées, incompréhensibles pour les familles, pas d’évaluation des méthodes, emplois non pourvus, méconnaissance de la sociologie des parents, manque de coordination…
Ce qu’ils souhaitent éviter : le « syndrome de la grenouille » (une malheureuse grenouille mise à cuire dans une marmite tolère une élévation régulière de la température de l’eau, alors qu’un ébouillantement brutal la ferait réagir aussitôt).
Une démarche accompagnée par Futuribles (Futuribles est un think-tank fondé en 1968. À partir de 1975, il édite une revue éponyme, bimestrielle, francophone, sur le thème de la prospective. : imaginer des tendances et des ruptures).
Plusieurs tendances : politiques publiques…réflexion sur ce à quoi on veut devenir.
Des scénarios :
Scénario global 1 : Rien ne bouge : principe de réalité, manque de coordination entre instances décisionnaires qui conduit à un repli sur soi et maintien d’une organisation en silo ; absence de stratégie nationale cohérente accentue les disparités ; familles accompagnées de manière non coordonnée ; l’épuisement des professionnels s’aggrave.
Scénario global 2 : collégialité des institutions et personnalisation de la prise en charge ; devrait être opposable ; mise en place de référentiels qui s’imposent aux acteurs. De la collégialité au référentiel.
Scénario 3 : le choix de la prévention ; priorité donnée à la prévention (soutien à la parentalité plus précoce) ; désinstitutionalisation des prises en charge ; impact sur les opérateurs ; nouvelles répartitions État (judiciaire)/département pour l’administratif ; transformation culture métiers.
Scénario 4 : Sanitarisation de l’enfance en danger ; les problématiques des jeunes sont de plus en plus observées sous le prisme de la santé mentale ; référentiels élaborés par les autorités de santé.
Il est indispensable de trouver de nouveaux compromis.
Des enjeux :
- L’inversion de la politique publique vers la prévention et la participation des parents
- La participation et la mobilisation des enfants
- La tension entre personnalisation et segmentation des réponses
- La normalisation des pratiques
- La marchandisation de l’action sociale
- La transformation et la libéralisation de l’emploi
- La collégialité de la gouvernance de la Protection de l’enfance
- Une nouvelle répartition des rôles État-départements
II – Chloé Sallé (juge des enfants) : présentation d’un travail de l’AFMJF développant la démarche prospective côté justice sur l’office du juge
Place de l’institution judiciaire ; office du JE
Tendances :
Tendance paternaliste : notions cadres qui doivent guider le juge mais en lui laissant une souplesse ; modèle anachronique
Plus de garanties : en matière civile : audition du mineur, Loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite Loi Taquet ; en matière pénale (impartialité)
Evolutions à venir : accès des pièces du dossier, entendre d’autres personnes que celles prévues par le Code de procédure civile.
Frein : dispositions pas toujours respectées par les juges des enfants (pas d’audition préalable, pas de greffier, audition systématique des mineurs discernants pas toujours respectée en pratique. Pratiques tolérées ; allongement des audiences ; manque de greffiers ; moyens alloués insuffisants ; montée d’un cadre procédural plus strict : crainte de ne pas conserver un office propre au JE.
Le juge des enfants ne tranche pas seulement : rôle relationnel : ce que les enfants sont, ce qu’ils ont à dire, ce qu’ils vont devenir ; créer un cadre sécurisant ; recherche de l’adhésion de la famille ; rôle symbolique de l’audition par le juge.
Impartialité à moduler
2030-2035 : arriver à une sorte de ligne de crête : cohabitation système souple et système légaliste
Office spécifique du JE et pas seulement arbitral, protectionnel avec encore plus de garanties
Garder la possibilité de suivre les enfants, de leur adresser la parole dans un cadre légaliste.
III – Myriam Bouali (directrice de l’enfance et de la famille de la Seine-Saint-Denis) : le rôle de l’aide sociale à l’enfance en fonction des différents scénarii.
Question de l’accompagnement de certains jeunes majeurs
Repérage de situations d’informations préoccupantes
Explosion de la protection de l’enfance pas tenable (notamment, MNA : 10% des placements ; arrivée pas assez accompagnée par l’État) ; mesures de placement pas effectuées, questions financières mais aussi difficultés réglementaires (AAP complexes et inadaptés) ; effets pervers de la décentralisation. Coordination des différents acteurs au niveau des territoires.
Après-midi
Ière partie – Les modifications de l’office du juge vers un juge plus garantiste, l’articulation entre le respect du cadre légal et l’intérêt de l’enfant
Introduction par Geneviève Lefebvre (juge des enfants retraitée – a inspiré Emmanuelle Bercot, la réalisatrice du film « La tête haute » (2015) pour le rôle du juge des enfants incarné par Catherine Deneuve) : présentation des lois intervenues au cours de sa carrière et comment elles ont affecté son office
1ère étape : Ordonnance du 23 décembre 1958 sur l’enfance en danger : Couple juge/éducateur : juge pivot et connivence avec les services éducatifs (participation réunion de synthèse) ; grande proximité avec les parents et les enfants (peu de formalisme) ; parallèle de la puissance paternelle étatique, bienveillante, relation verticale
2ème étape : Loi du 4 juin 1970 relative à l’autorité parentale : autorité parentale qui résulte d’un dialogue entre les parents ; justice négociée avec les familles (audition tentative de recueil de l’adhésion) ; distance avec les services éducatifs ; certaine impartialité ; débat contradictoire ; ce que le juge a gagné en impartialité, il l’a perdu en réactivité, en agilité. Constitution des parquets mineurs réceptionnaires des signalements. Alter ego du juge, le juge des enfants n’est plus l’interface en prise direct avec la société civile ; mouvement qui s’est accentué (politique de la ville, lois sur la prévention). Le juge des enfants a perdu sa capacité d’initiative.
3ème étape : loi de 1986 qui a entraîné la limitation dans le temps des mesures éducatives (2 ans). Cette loi a changé la place, la posture du juge qui est passé d’une position active à une position réflexible.
Questions : changement d’office ou changement de métier ? ; articulation : corset des règles procédurales/concept non juridique de l’intérêt de l’enfant (politique : bien ou pas pour l’enfant) ; quel avenir d’un juge des enfants à double casquette dans un monde, dans une Europe où cette question n’a plus cours ?
II – Catherine Sultan (présidente chambre des mineurs) et Alice Grunwald : (juge des enfants) : l’office du juge, entre l’esprit du juge cesbronien et la nécessaire garantie des droits, les enjeux actuels (présence du greffier, subsidiarité, contradictoire, respect des textes…).
Alice Grunwald : A déchanté dès son stage (2000) : pas de travailleurs sociaux, pas d’audition des enfants, peu d’avocats. Soucieuse de faire autrement. On pensait que les familles ne pouvaient pas entendre (conception infantilisante des familles). Le juge des enfants est écartelé entre des injonctions contradictoires. Elle considère que c’est bien pour le juge d’être bordé dans sa toute puissance.
Lois (subsidiarité en 2006, 2016) ont apporté une cohérence, une stabilité du système mais peu appliquées.
Mise en place du greffier en assistance éducative : sortie d’un énorme dysfonctionnement (compréhension de la décision, oubli de certains points) ; autre espace, un peu de distance remettant du juridictionnel dans le système.
Québec : pas la famille, pas les enfants, représentation par les avocats, arbitral avec les avocats.
Mais un respect plus important des droits des personnes : les accords (protection de l’enfance) ne passent pas devant le juge ; stabilité des parcours : gros travail avec les parents sur un temps court et ensuite stabilisation de la situation de l’enfant (différent de la France).
Respect des lois :
Subsidiarité (prévention), levier du travail avec les parents, baisse du nombre de dossiers
Ressources familiales : freins de position éducative, pas d’empiètement sur les valeurs d’une famille quand pas de danger pour l’enfant
Contrôle sur le soutien à la parentalité : donner du sens à des adaptations du statut.
Catherine Sultan : Elle considère que la tension entre les deux pôles est positive. Le juge des enfants est impliqué dans la cité et au cœur de la question sociale (violences familiales, sexuelles, prostitution). Cela rend vivante la fonction. Le juge des enfants est perméable aux évolutions de la société. Catherine Sultan évoque l’impulsion de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE). Le modèle de justice a su intégrer ces mouvements. Selon cette dernière, « il ne faut pas relire le passé avec les lunettes du présent ». La justice s’est émancipée de ses racines mais ne les a pas rompues.
Conseil de lecture : « L’illusion biographique » (1986) de Pierre Bourdieu. Il ne faut pas prendre le moment où on en est comme une finalité ; autres chemins possibles ; pourquoi n’ont-ils pas été pris ?
III – Anne-Marie Fauvet (directrice de l’AGACEF, Association de prévention spécialisée et protection de l’enfance) : le travail autour de l’autorité parentale, conférences des familles, pouvoir d’agir, donner du sens à la subsidiarité de l’intervention judiciaire
AEMO – développement placement avec hébergement. On sort d’une culture selon laquelle le travailleur social est là pour aider les familles. Constitution de génogrammes. Cartographie points de force et difficultés des territoires (territoire, milieu de vie). Repérage des ressources et déploiements ensuite (conférences des familles : personnes qui ont un intérêt positif pour l’enfant, les repérer, les réunir, poser le cadre et on attend que ces personnes proposent un plan d’action ; le collectif propose souvent des solutions, engagements à hauteur de capacité des familles ; suite : comment on maintient ces capacités ; entretiens narratifs). Cela demande une évolution des pratiques. Des coopérations sont nécessaires mais cela doit être structuré. Anne-Marie Fauvet est favorable à une gestion du personnel participative.
2ème partie : Le statut du mineur discernant
Introduction par Laurent Gebler, (président chambre des mineurs) : question de la conciliation entre le droit pour les enfants d’être entendus et les autres droits attachés au discernement du mineur
Loi : obligation notification à l’enfant discernant ; c’est le juge qui décide qui est partie ou non à la procédure ; entre 7 et 16 ans (fourchette très large en fonction des juges) ; on saucissonne la question du discernement selon les questions, ce qui aboutit à une nébuleuse.
I – Solène Donal, (juge des enfants) : comment le juge fait avec ce que lui donne le législateur ?
Lire : Article de Muriel Eglin, dans Enfance et Psy (2012)
Loi du 7 février 2002 : avant cette loi, principe d’audition de longue date pour les enfants confiés, au cœur de l’assistance éducative mais pas de caractère systématique (mesure d’AEMO) ; adhésion de co-construction (placement ou AEMO). Questions de moyens pour les auditions de l’enfant (15 mn minimum et caractère contradictoire). Questions d’opportunité. Doublement du temps d’audience (1 h 30 aujourd’hui). Rédaction de rapports au détriment des temps d’audience ou des enfants. Certaine dérive de l’office du juge. La parole de l’enfant recentre sur ses besoins.
Mineurs non discernants : entendus de moins en moins, surtout les plus jeunes. Raisons pratiques (formalisme). Demande forte du CNB (Conseil National des Barreaux) d’une audition de tous les enfants avec désignation systématique d’un avocat (expérimentation Nanterre, période Covid, article dans la revue Délibérée, 2021). Solène Donal regrette l’insécurité juridique actuelle. Elle insiste sur le rôle indéniable de l’avocat de l’enfant entre deux audiences d’assistance éducative.
Notification du jugement aux mineurs discernants : choix de notifier tous les jugements in extenso à partir de 13 ans par LRAR (point de départ du délai d’appel).
II- Josine Bitton (avocate) : le statut du mineur discernant et la place de l’avocat
L’enfant est au centre de la procédure d’assistance éducative
Loi de février 2022 : obligation de l’audition de l’enfant.
Droit d’interjeter appel et de se voir notifier les décisions pour les enfants discernants (en pratique pas toujours fait).
Qu’est-ce qu’un enfant discernant ? CJPM : 13 ans ; différent en assistance éducative : il doit être apprécié différemment en fonction des cas de figure. Le juge des enfants doit recevoir l’enfant quelque soit son âge, hors de la présence des parents et de l’ASE. Josine Bitton regrette le rôle flou de l’administrateur ad hoc en assistance éducative. L’administrateur ad hoc n’est pas porteur de la parole de l’enfant mais de l’intérêt de celui-ci. Peut-être faudrait-il en terminer avec la notion de discernement ?
Mission particulière de l’avocat d’enfant. Avant l’audience, rappel du secret professionnel, aide à former ses desiderata, aide à la sortie de l’audience pour s’assurer que la décision a été comprise, contact entre les audiences, visite sur le lieu de placement. L’enfant est sujet de droits, c’est ce qui est important. Josine Bitton précise que l’avocat est souvent le seul interlocuteur dans la durée (ex. 7 juges des enfants pour une jeune fille de 15 ans).
III – Adeline Gouttenoire, (Professeur à l’Université de Bordeaux, administratrice ad hoc) : le rôle de l’administrateur ad hoc auprès du mineur non discernant
Administrateur ad hoc : Loi Taquet de 2022 l’a consacré mais il existait déjà auparavant. Le département peut demander au juge de désigner un administrateur ad hoc. Il peut demander au parquet d’être désigné quand une procédure pénale est en cours (administrateur ad hoc unique).
Désignation systématique : en assistance éducative en cas de conflit entre enfant et parents.
Rôle dans l’audience : les parents sont généralement contents de la représentation de l’enfant ; les avocats des parents l’apprécient également. Le rôle de l’administrateur ad hoc est à confirmer.
Accès au dossier parfois compliqué : le rapport n’est parfois pas fourni par les services sociaux qui invoquent le secret professionnel malgré le principe du partage d’informations.
Qu’en fait-on ? L’administrateur ad hoc est présent à l’audience, il représente l’intérêt de l’enfant (n’entre pas nécessairement dans le bureau du juge). Il se déplace sur les lieux de placement. Sa position est délicate.
Avocat et administrateur ad hoc : soit l’un, soit l’autre. Alternative : si enfant non discernant : administrateur ad hoc et si discernant : avocat (loi). Pour Adeline Gouttenoire, il peut être parfois intéressant qu’il y ait en plus un avocat. Avocat au pénal mais aussi avocat de l’enfant discernant en assistance éducative.
Une nouvelle désignation d’un administrateur ad hoc est possible en appel.
Question essentielle de l’accompagnement.
IV – Cindy Duhamel, (psychologue clinicienne experte judiciaire) : Regard d’un ancien enfant confié sur l’évolution des droits de l’enfant discernant
Cindy Duhamel a apporté le regard d’un ancien enfant confié. Son exposé particulièrement poignant, a permis de se recentrer sur le jeune, son « vécu » et son ressenti. Elle a souligné l’importance de donner la parole à l’enfant, discernant ou non, qui doit pouvoir s’exprimer sans crainte. Pour elle, il faut restituer la parole de l’enfant dans le contexte familial. L’absence de parole de l’enfant influencera la décision du juge. Le rôle de l’avocat est important.
31 mai : Office du juge au pénal
Introduction par Wendy Thuillier, responsable de la plateforme de justice restaurative, association L’ARCA (Association de Recherche en Criminologie Appliquée, travaille avec un large réseau de professionnels exerçant auprès de victimes et d’auteurs) : accompagner autrement les mineurs dans un processus de désistance : le good lives model.
Le good lives model (GLM) est un modèle criminologique positif, une méthode de justice restaurative concernant aussi bien les victimes que les auteurs. Elle n’a pas pour objectif principal de confronter l’auteur et la victime de l’infraction, même si elle peut y conduire. C’est une démarche impliquant criminologues, psychologues et juristes qui fournit une grille de lecture intéressante, plutôt cognitiviste, de positionnement social des individus. La méthode utilise un logiciel qualifié de « réalité virtuelle », afin d’identifier ce qu’elle nomme les « besoins primaires » (9 besoins fondamentaux : connaissance ; excellence dans le jeu et le travail ; l’autonomie et la capacité d’autodétermination ; la paix intérieure ; la qualité des relations ; le lien social ; la communauté ; la spiritualité ; le bonheur et la créativité), et les « besoins secondaires » (comportements déviants), les deux étant variables selon les individus.
Accompagnement GLM (utilisé par l’administration pénitentiaire) : travail avec l’individu, recherche d’une motivation ; recherche des besoins du jeune (souvent basique : maison, copine, chien, voiture) ; travail avec les besoins du jeune. On investit le présent, le passé pour aller vers l’avenir. Des objectifs sont fixés afin de lutter contre la récidive.
Le GLM mène à la restauration d’où la justice restaurative (V. le film de Jeanne Herry « Je verrai toujours vos visages, 2023). Lire : Guide de la justice restaurative pour les mineurs, publié en 2022 par le ministère de la Justice.
Wendy Thuillier précise que la méthode est difficile à mettre en place avant la sanction. En revanche, elle peut avoir un effet « constructeur » entre les audiences de culpabilité et de peine. L’objectif est d’infuser les pratiques professionnelles de demain. Wendy Thuillier souligne l’importance de la mise en place de conventions de partenariat en aval et en amont.
Au cours des échanges suivant cette présentation, il apparaît que la « justice restaurative » est appliquée, lorsqu’elle l’est, de manière très lacunaire et diversifiée sur le territoire. Elle suscite des inquiétudes, rencontre des freins et interroge sur son applicabilité à certaines infractions, telles les agressions sexuelles. Dans les Yvelines par exemple, ce sont les éducateurs qui l’appliquent. Se posent des problèmes de moyens : 2 professionnels à la PJJ de Versailles dédiés à la JR.
Le juge Gebler rappelle que le CJPM facilite la restauration. La justice restaurative intervient peu en pré sentenciel. Selon ce dernier, elle permet de modifier le comportement de l’auteur (meilleure connaissance de la victime, des ses vulnérabilités). Très utile dans le domaine des violences sexuelles intrafamiliales, la justice restaurative permet de renouer le dialogue à condition que les personnes soient volontaires et que leur seuil de tolérance des personnes soit adapté.
TABLE RONDE : La modification de l’office du juge par le CJPM et l’évolution des pratiques professionnelles – Mirthys Vinas-Roudières (juge des enfants TPE Bobigny) ; Jean-Christophe Guimbelet (Responsable des politiques institutionnelles PJJ Yvelines) ; Antoine Leroy (procureur de la République mineurs Toulouse) ; Isabelle Corrales (avocate barreau Lille)
Des échanges entre ces différents professionnels de la justice pénale des mineurs, émergent les points suivants :
– Valorisation de la justice restaurative
– Mineur plus au centre du travail éducatif, mélange de flexibilité et de rigidité ; investir le plan post sentenciel ; Affirmation de l’importance du recueil de renseignement socio-éducatif (RRSE).
– Efforts à faire sur le postsentenciel de la part des juges des enfants et de la PJJ.
– Constat unanime de l’amélioration de la temporalité : balisage dans le temps qui renforce le lien, moins de mineurs absents ; le mineur peut se projeter.
– Déclenchement pléthorique des « modules » (réparation, santé…), rendant le suivi difficile. Difficulté de réalisation des modules « placements » compte tenu du manque de places et de l’engorgement des services éducatifs (plus facile à mettre en place en module d’alternative à la sanction).
– Amélioration par le CJPM de la qualité des éléments de procédure : police, gendarmerie (rôle des avocats qui soulèvent plus qu’avant des exceptions de nullité)
– Montée en puissance du parquet. Très heureux de la mise en œuvre du CJPM. L’audiencement, pour le procureur Antoine Leroy était toujours un problème et il est content « d’avoir repris la main ». Pour les avocats, cette place centrale du parquet change la défense du mineur.
– Le déférement : qualifié de « grande révolution » par Antoine Leroy. Pour ce dernier, « Je défère donc je suis ». Ce dernier est satisfait de la présence obligatoire dans le bureau du procureur du mineur, de l’éducateur, des parents. Les avocats sont plus critiques. Pour ces derniers, cette place centrale du parquet change la défense du mineur et le déférement créé une pression nouvelle : tout se joue devant le parquet ; il entend le mineur avant le juge des enfants ; l’avocat doit se préparer dans l’urgence d’où une inégalité des armes par rapport au parquet qui dispose de toutes les informations (procédure et fond du dossier).
– Intérêt de la notion d’ « avocat fil rouge » pour toutes les audiences mineures (suivi assuré par le même avocat). Valorisation par le CJPM mais regret de la conception restrictive du CJPM. Par exemple, à Lille cette continuité concerne l’ensemble des procédures concernant un mineur (civil, pénal, administratif). Vraie continuité dans la défense des mineurs.
– Plus de temps de travail pour les avocats : astreints à un plus grand nombre d’audiences et de temps de présence au tribunal (garde à vue, auditions libres jour de déférement, culpabilité, sanction + alternatives).
– Plus de pression pour les avocats : enjeu au niveau civil et au niveau éducatif crucial dès la première audience (constitution partie civile de la victime dès la première audience, préparation avec le mineur et la famille). Préparation séquencée de la défense du mineur : pour déférement (garde à vue, droit au silence), 1ère audience (faits), 2ème audience (sanction). L’avocat doit courir après les réquisitions du parquet (écrites à Lille), le RRSE ; pour l’audience de sanction : l’avocat court après le rapport de la PJJ et ne sait pas à quel moment il arrive au greffe. Les avocats manquent souvent d’informations quant à la tenue ou non des audiences (renvoi en l’absence de RRSE) ou quant à la tenue d’une audience unique ou pas (mail pour informer l’avocat nécessaire). Nécessité d’improviser.
– Globalement, les professionnels subissent une pression temporelle plus importante et ont souvent du mal à répondre aux demandes dans les temps prescrits
– Du côté de la PJJ, Jean-Christophe Guimbelet exprime un sentiment de perte de sens éducatif et regrette la trop grande quantité de rapports à fournir au détriment du travail éducatif avec les jeunes. Il met en évidence les difficultés pour les jeunes multirécidivistes (audience unique ; incarcération de 3 semaines avant, pas de temps, sortie sèche dans la famille). Les priorisations devraient être identiques lors d’un déférement et d’une audience unique car les risques d’incarcération sont identiques. Il déplore le manque de place dans les établissements de la PJJ (locaux…), l’absence dans certains cas de projet à l’audience. Il faut anticiper, il faut un projet. Les directions départementales devraient être plus actives ; repenser ; réorganiser.
En conclusion, ce colloque, par la diversité et la qualité des intervenants aura été extrêmement intéressant et aura fourni aux auditeurs non seulement un « panorama » très précis et actualisé de la protection civile et pénale des enfants mais aussi de riches réflexions prospectives sur l’office du juge.