La FNAPTE remercie vivement les représentants territoriaux de la FNAPTE qui ont permis d’établir ce bilan sur les deux ans d’application du CJPM. Les retours d’expérience ont été très précieux et ont permis l’élaboration d’une synthèse présentée lors de la Biennale des Territoires qui s’est déroulée à Paris le 7 octobre 2023.
Ne se limitant pas à des observations, analyses et appréciations des pratiques, les assesseurs émettent également des propositions afin d’améliorer le fonctionnement de la justice pénale des mineurs.
De manière quasi concomitante, le gouvernement a remis au Parlement, comme la loi l’imposait, un rapport d’évaluation au ton résolument positif sur la mise en œuvre du CJPM (13 oct. 2023). Ce rapport confirme, sur de nombreux points, les conclusions de la mission d’information parlementaire du 23 mars 2023. Ainsi, le bilan ci-après réalisé par les assesseurs, s’il confirme également certaines des conclusions de ces deux rapports les complète opportunément.
I – La pratique des assesseurs après deux ans d’application du CJPM
Si la place des assesseurs est de plus en plus considérée par les juges des enfants et leur avis autant pris en compte dans les délibérations que sous l’empire de l’ordonnance de 1945, des interrogations et inquiétudes sur le rôle, la légitimité des assesseurs depuis l’avènement de la nouvelle procédure sont cependant des traits saillants de nombreux témoignages. Le sentiment de nombreux assesseurs est qu’on favorise de fait une justice de cabinet au détriment de la qualité d’une audience avec un débat contradictoire en présence du procureur de la République (qui n’est pas obligatoire en cabinet) et des assesseurs où les différentes parties peuvent s’exprimer et trois personnes, et non une, prendre une décision.
– La rupture de continuité culpabilité/sanction mal vécue : La césure culpabilité/sanction est souvent ressentie comme une rupture dans la logique de la justice pénale des mineurs. Du point de la pratique des assesseurs, c’est compliqué de juger uniquement en audience de sanction (ce qui est le plus fréquent, les audiences de culpabilité se déroulant dans la plupart des cas en cabinet et selon l’intention du législateur). Même s’ils ont pu consulter le dossier avant l’audience (ce qui est conseillé quand c’est possible), le juge doit refaire l’instruction en audience pour replacer la peine en conséquence de faits pour lesquels le mineur a été condamné. Dans la mesure où cet exercice peut être fastidieux pour le président, en pratique il se limite plutôt à un résumé, à une synthèse rapide des faits. De ce point de vue, les explications du jeune sur les faits qu’il a commis, qu’il les reconnaisse ou les nie, renseignent souvent les assesseurs sur sa manière de les appréhender et d’observer dans le détail la manière dont le jeune prend conscience de sa responsabilité. Manque également son attitude vis-à-vis des victimes quand il y en a, ces dernières pouvant être indemnisées lors de la première audience de décision sur la culpabilité sont rarement présentes à l’audience de sanction. Tout un pan du dossier échappe donc aux assesseurs, ce qui est unanimement regretté. La légitimité des assesseurs à décider de la sanction s’en trouve amoindrie car ils n’ont pas la totalité des éléments du dossier et cela à la différence du juge des enfants. Pour toutes ces raisons, les assesseurs se sentent moins informés qu’auparavant et leur contribution au délibéré est déséquilibrée par rapport à celle du juge. Cette réalité apparaît également contradictoire avec le principe de continuité posé par le CJPM : même juge, même avocat mais assesseurs différents. Cela amène de nombreux assesseurs à se poser la question de l’intérêt de leur participation à la justice pénale des mineurs. De la même manière, siéger à l’audience de culpabilité et non à celle de sanction est frustrant.
– Au niveau organisationnel : Si les assesseurs comprennent la quasi-impossibilité d’assister aux deux audiences concernant le même jeune, ils le déplorent. Des présidents le souhaiteraient mais reconnaissent que cela s’avère difficile à mettre en place au niveau des greffes et risquerait de générer une rupture dans l’égalité de la répartition des audiences entre les assesseurs. En dehors de pratiques isolées, rien n’est organisé et les juges « jonglent » avec les assesseurs alors qu’eux suivent en principe les mêmes affaires. Finalement, c’est rarissime qu’on retrouve les mêmes assesseurs aux deux audiences avec tous les inconvénients décrits plus haut.
– Une diminution du nombre d’audiences constatée et regrettée : Plusieurs assesseurs font état d’une diminution du nombre d’audiences puisque beaucoup d’affaires sont jugées en cabinet, ce qui correspond au principe posé par le CJPM. Se rendre à une audience du TPE trois à quatre fois par an perd n’aurait plus à leurs yeux, beaucoup de sens. A plus long terme, de nombreux assesseurs se posent la question de la place de l’assesseur et de l’intérêt de la fonction.
II – L’avis des assesseurs sur la nouvelle procédure de mise à l’épreuve éducative
Synthèse : Si l’instauration « d’une mise à l’épreuve éducative » en trois phases semble intéressante, il faudrait se donner les moyens humains et financiers pour que les audiences d’examen de la culpabilité du mineur et de prononcé de la sanction soient bien organisées avec toutes les parties et pas en cabinet avec des délais trop courts ne permettant pas aux uns et aux autres de s’organiser au mieux pour d’une part être présents (parents, avocats, victimes…) et d’autre part avoir le temps de préparer de manière satisfaisante leurs dossiers.
– Points forts :
* Rapidité de traitement des nouvelles affaires : le court délai pour prononcer la culpabilité (maximum 3 mois) apparaît satisfaisant tant pour le jeune que pour les victimes. Ainsi, on peut se féliciter de la comparution rapide du mineur après la commission des faits qui lui sont reprochés car rien n’est plus inconfortable et “contreproductif” pour un mineur que de juger un dossier plusieurs années après les faits comme ce fut le cas par le passé. De manière générale, la rapidité de l’ensemble de la procédure donne plus de lisibilité aux jeunes de leur parcours judiciaire et leur permet « de tourner la page plus vite ».
* Une adhésion plus forte : Est observée une plus forte adhésion aux mesures et contraintes préconisées que ce à quoi on pouvait s’attendre dans un court délai entre culpabilité et sanction. Les mesures judiciaires et éducatives sont assez bien suivies localement ce qui donne de la consistance au suivi des mineurs.
* Un renforcement de l’éducatif : Le système montre une réelle volonté de se concentrer sur l’éducation et l’accompagnement des jeunes en conflit avec la loi. La mise en place très tôt de mesures éducatives judiciaires provisoires dès l’audience de culpabilité et même avant est saluée de même que la plus-value apportée par l’individualisation des modules au regard de parcours différents. Plusieurs assesseurs soulignent l’importance de la prise en compte du facteur temps dans le cheminent des mineurs. La césure entre l’audience de décision sur la culpabilité et elle de sanction oblige les assesseurs à inscrire le parcours du mineur dans le temps et surtout à observer sa capacité à se saisir des mesures prononcées lors de l’audience de culpabilité. En effet, lors de l’audience de sanction les assesseurs doivent tenir compte de l’investissement ou non du mineur dans les mesures judiciaires éducatives provisoires ou mesures de sûreté prescrites en première audience et ainsi mesurer sa capacité à prendre conscience des faits pour lesquels il a été déclaré coupable et, partant, mesurer sa capacité à assumer sa responsabilité dans la commission de ceux-ci. Ce point est considéré par de nombreux assesseurs comme un élément essentiel du CJPM qui rompt avec la pratique antérieure qui laissait moins de possibilités de mesurer concrètement (pour l’affaire à juger) l’investissement du mineur dans les mesures prononcées en même temps que la peine. La possibilité offerte par le CJPM, largement utilisée en pratique, de l’extension de la période de mise à l’épreuve éducative à une ou plusieurs autres procédures est considérée par de nombreux assesseurs comme la bienvenue.
– Points faibles :
Certains assesseurs sont critiques vis-à-vis de la nouvelle procédure et tirent un bilan mitigé au regard du « gouffre » entre l’intention et la réalité.
* Distorsion nouveau temps judiciaire/temps éducatif : période de 6 à 9 mois pour la mise à l’épreuve éducative jugée parfois trop courte pour permettre de faire un vrai bilan. En particulier, pour les violences sexuelles, ce court délai entre les deux audiences rendrait difficile voire impossible d’apprécier réellement l’évolution. Lors de l’audience sur la sanction, il arrive assez fréquemment que les mesures éducatives judiciaires provisoires aient à peine débuté, voire pas du tout. Paradoxalement, si des assesseurs considèrent que l’on peut se « satisfaire » du rapprochement de la décision judiciaire de la commission des faits, ils remarquent que ce nouveau temps judiciaire n’est pas forcément le temps de la maturité chez le jeune et n’est pas forcément le temps de l’apaisement et/ou de la réflexion.
* D’un point de vue strictement procédural : compte tenu du court délai entre l’audience de culpabilité et de sanction, l’appel du premier jugement peut le cas échéant rendre difficile voire impossible de juger la sanction si l’appel est pendant ou à tout le moins obligé à repousser l’audience de sanction une fois le jugement en appel rendu. Ce cas de figure est toutefois rare mais il peut arriver. Les pratiques sont diverses : certaines juridictions prononcent des sursis à statuer mais contra legem, tandis que d’autres statuent sur la sanction alors que la cour d’appel (en raison des longs délais d’audiencement) n’a pas encore statué sur la culpabilité. L’audience ne se déroule alors pas avec la sérénité requise dans la mesure où les débats sur la culpabilité ne sont pas encore terminés. Le CJPM considère que la cour d’appel est alors saisie de l’appel sur la culpabilité et la peine.
* Le prononcé de la culpabilité en audience de cabinet : ne laisse parfois pas de place (selon les juridictions) à la présence du parquet pour ses réquisitions (qui ne sont obligatoires que si une peine doit être prononcée), ce que garantit en revanche le tribunal pour enfants où la présence du parquet est toujours obligatoire. Certains assesseurs voient peu de cohérence à un prononcé de culpabilité en chambre du conseil quand la culpabilité est dissociée de la sanction, celle-ci étant renvoyée au TPE.
* Une surcharge des audiences, un déficit de moyens humains : Certains assesseurs (gros TPE) constatent à nouveau, comme sous l’empire de l’ordonnance de 1945, une forte surcharge des audiences ce qui entraîne le renvoi d’environ 40% des audiences de culpabilité. Quant aux audiences de sanctions, elles sont également régulièrement renvoyées dans certains TPE, faute de prise en charge éducative en temps et en heure de la part des services PJJ (avec comme commentaire dans les rapports : « étant données les difficultés en termes de ressources humaines….. nous n’avons pas pu…. »). Les rapports arrivent parfois à 13 h 55 pour une audience à 14 h et les avocats s’insurgent de ne pas avoir été en mesure de les consulter avant l’audience. Le TPE doit souvent se contenter du dossier unique de personnalité quand il existe. La multiplication des audiences entraîne souvent une mutualisation des affaires par les éducateurs qui se rendent au tribunal et il est de plus en plus fréquent que l’éducateur présent à l’audience ne soit pas celui du jeune. Il se contente alors de lire le rapport de son collègue et n’est pas en mesure de répondre aux questions posées par le juge ou les assesseurs. La PJJ manque de moyens pour mettre en œuvre un vrai suivi des jeunes : comment se satisfaire de deux rendez-vous.
Finalement : pas de gain de temps ni de moyens pour les professionnels (doublement des convocations, des notifications, des audiences même en cabinet).
Même si sur le papier le CJPM est plein de bonnes intentions tout à fait cohérentes, la mise en place est extrêmement difficile dans certaines juridictions en raison des difficultés à surmonter le manque de personnel de greffe, le manque de magistrats, le manque de personnels de PJJ……
* Des déceptions quant à la mise en œuvre des modules : L’organisation des modules santé laisse dubitatifs de nombreux assesseurs (manque de professionnels). Le temps de travail d’un certain nombre de structures se limite à seulement deux RV pour le jeune, ce qui semble très insuffisant. Les propositions dans les modules réparation sont également souvent regardées comme insuffisantes. Les modules d’insertion sont difficiles à mettre en œuvre (transports, heures…). L’obligation de formation se limite souvent à une simple inscription à la Mission locale.
* Des interrogations quant à la situation des mineurs non accompagnés : plusieurs assesseurs alertent sur la nécessité pour les pouvoirs publics de prendre en considération la situation des MNA pour lesquels l’audience unique est quasiment toujours utilisée avec les conséquences graves qu’elle entraîne.
III – Des propositions : « Essayons de rester positifs afin de trouver des solutions…sans se décourager ».
* Limiter la durée des audiences : Faire en sorte que la durée des audiences reste « raisonnable ». Des audiences qui se terminent à 23 h 30 (à Paris) posent des problèmes tant au regard de la capacité d’attention de l’ensemble des parties que des conséquences de la peine prononcée, spécialement pour les mineurs incarcérés (levée d’écrous, retour dans l’établissement pénitentiaire, sortie au petit matin, absence d’avocat, d’éducateur, relâchés sans accompagnement…).
* Renforcer l’aspect pédagogique des audiences : Certains assesseurs trouveraient intéressant, d’un point de vue pédagogique, que tout ce que le juge dit au jeune lors des deux audiences, soit transcrit (en des termes simples, accessibles) et donné en main propre à celui-ci, à ses représentants légaux, au lieu de vie éventuellement, à son éducateur afin que l’ensemble de la procédure soit cohérent. Ainsi, le jeune pourrait revenir auprès des uns et des autres comme en audience, avec toutes les traces de ce qui lui a été dit, au-delà la notification, qui reste souvent inaccessible.
* Redonner du sens à la peine : en limitant, par exemple le nombre de sanctions prononcées pour une même affaire (mesures éducatives, TIG, stages…) afin de les rendre plus lisibles par le jeune. Obtenir des bilans des TIG effectués ou non.
* Renforcer la formation des acteurs de la justice pénale des mineurs : Il est clair qu’il y a un besoin identifié de renforcer la formation des acteurs impliqués afin d’assurer une prise en charge adéquate. En ce qui concerne les nouveaux assesseurs, nombreux sont ceux qui ressentent cette nécessité depuis leur prise de fonction, notamment concernant leur légitimité et leur désir de contribuer au mieux au fonctionnement de la justice pénale des mineurs au sein du TPE. Cela serait de nature à favoriser la communication et le dialogue avec les juges des enfants et les greffiers. La question de l’insuffisance, voire de l’absence de spécialisation des parquetiers mineurs, pourtant inscrite dans le CJPM, est soulignée par plusieurs assesseurs (cf décision Cour de cassation qui rappelle ce principe : Cass. crim, 13 avr. 2023, n° 23-80.470).
* Rendre effectif le principe de continuité : Faire en sorte que les mêmes assesseurs, pour la même affaire, se retrouvent aux deux audiences culpabilité/sanction. Les assesseurs se montrent prêts à accompagner les services des greffes à cet effet. Une meilleure coordination entre juges et assesseurs serait souhaitable mais elle dépend du bon vouloir local. Il est fait état, dans un tribunal pour enfants de la pratique suivante : le planning de répartition des audiences entre les les assesseurs est construit par ces derniers (et non le greffe) qui font en sorte, dans la mesure du possible, que les mêmes assesseurs siègent à la fois à l’audience de culpabilité et à celle sur la sanction. En dehors de cette pratique isolée, rien n’est organisé et les juges « jonglent » avec les assesseurs alors qu’eux suivent en principe les mêmes affaires. Finalement, c’est rarissime qu’on retrouve les mêmes assesseurs aux deux audiences avec tous les inconvénients décrits plus haut.
* Diversifier l’offre éducative et les partenariats : De manière générale, les partenariats Police/Justice/PJJ /Education Nationale/Départements devraient être développés Pour les jeunes déscolarisés, les dispositifs alternatifs qui existent dans certains établissements scolaires (par ex., Paris) devraient être généralisés. Les stages de citoyenneté mériteraient également d’être plus fréquemment prononcés.