L’article 1242 alinéa 4 du code civil édicte une responsabilité de plein droit des père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux, dont seule la force majeure ou la faute de la victime peut les exonérer : « Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ». Pour que les parents soient tenus civilement responsables des actes de leur enfant mineur, deux conditions sont donc exigées : les parents doivent exercer l’autorité parentale ; l’enfant doit habiter chez ses parents.
Jusqu’à présent, en cas de séparation des parents, la Cour de cassation considérait que la condition de « cohabitation » prévue par le Code civil pour engager la responsabilité n’était remplie qu’à l’égard du parent chez lequel la justice avait fixé la résidence habituelle de l’enfant, quand bien même l’autre parent, bénéficiaire d’un droit de visite et d’hébergement, exercerait conjointement l’autorité parentale. Dès lors, seul le parent détenteur de la résidence habituelle pouvait être condamné à réparer les dommages causés par son enfant mineur.
Dans une décision rendue le 28 juin 2024 (n° 22-84.760), l’assemblée plénière de la Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence sur le sujet. Il est intéressant de reprendre le déroulement de la procédure afin de mettre en lumière le rôle joué par la première juridiction saisie, à savoir un tribunal pour enfants composé d’un juge des enfants et de deux assesseurs.
Le tribunal pour enfants de Marseille, par un jugement du 21 septembre 2020, a déclaré coupable un mineur de 14 ans des faits criminels pour lesquels il était poursuivi, à savoir dix- sept incendies d’espaces boisés à l’origine d’importants dommages et l’a condamné à plusieurs peines. Saisi de plusieurs demandes d’indemnisation par des personnes victimes de ces incendies qui s’étaient portées parties civiles, le TPE a déclaré civilement responsables des agissements du mineur ses deux parents. Ces derniers étaient divorcés et titulaires d’une autorité parentale conjointe. Suite à un accord des parents, la résidence de l’enfant était fixée chez sa mère avec un droit de visite et d’hébergement pour le père. Le TPE a ainsi fait le choix en toute connaissance de cause (comme l’atteste la motivation du jugement) de ne pas suivre la jurisprudence de la Cour de cassation qui considérait que, dans un cas semblable, seul le parent chez lequel l’enfant avait sa résidence habituelle était civilement responsable. Le père a interjeté appel : selon lui, sa responsabilité ne pouvait être engagée car la résidence habituelle de son enfant n’avait pas été fixée chez lui. La chambre des mineurs de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, en adhérant à l’interprétation classique de la Cour de de cassation de l’article 1242, al. 4 du Code civil, lui a donné raison dans un arrêt rendu le 17 juin 2022 : elle a jugé que seule la mère pouvait être déclarée civilement responsable, car c’est chez elle que la résidence habituelle du mineur avait été fixée. La mère (le montant des dommages dépassait le plafond fixé par son assurance de responsabilité civile), le mineur et des parties civiles ont formé des pourvois en cassation.
La question posée à la Cour de cassation était la suivante : Lorsque des parents séparés exercent conjointement l’autorité parentale, celui chez qui la résidence habituelle de l’enfant a été fixée est-il seul responsable des dommages causés que ce mineur ? La Cour de cassation (assemblée plénière, 28 juin 2024) a accueilli les pourvois en cassation, cassé l’arrêt rendu par la cour d’appel et renvoyé devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence autrement composée, afin que l’affaire soit à nouveau jugée. Réinterprétant de manière audacieuse la notion de cohabitation et adhérant ainsi à la solution retenue par le TPE de Marseille, elle considère que le fait qu’un enfant cohabite avec ses parents découle de l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Dorénavant, lorsque des parents exercent conjointement l’autorité parentale à l’égard de leur enfant mineur, la condition de cohabitation est donc considérée comme remplie même lorsqu’ils sont séparés et que l’enfant ne réside que chez l’un d’entre eux. Les deux parents sont alors solidairement responsables des dommages causés par celui-ci. Il ne peut en aller différemment que si le mineur a été confié à un tiers par une décision administrative ou judiciaire. Dans ce cas, l’enfant réside chez cette tierce personne et la responsabilité des parents de l’enfant mineur ne pourra être engagée, même si ces derniers continuent d’exercer l’autorité parentale.
Saluons l’audace du tribunal pour enfants de Marseille qui a choisi de prendre le contre pied d’une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation et qui a ainsi été à l’origine d’un revirement bienvenu de jurisprudence.