L’ANATPE (Association Nationale des Assesseurs des Tribunaux Pour Enfants) regroupe des assesseurs nommés par le garde des Sceaux sur tout le territoire national. Choisis en raison de l’intérêt que nous portons aux questions de l’enfance, notre présence (deux assesseurs) dans la composition du tribunal pour enfants aux côtés du juge des enfants est indispensable au fonctionnement de la justice pénale des mineurs. Tenus au respect des mêmes obligations que les magistrats, notamment juger en toute impartialité et indépendance, nous avons un pouvoir de décision identique à celui du juge des enfants, tant sur la culpabilité que sur la sanction. Lors des délibérés, les deux assesseurs peuvent mettre en minorité le magistrat professionnel, même si dans la pratique, les débats permettent dans l’immense majorité des cas d’aboutir à un consensus. C’est là tout l’intérêt de la collégialité.
Suite aux récentes annonces du gouvernement concernant la justice pénale des mineurs, en réaction à des épisodes de violences impliquant des mineurs en tant qu’auteurs et victimes, nous souhaitons livrer notre réflexion sur les évolutions législatives envisagées.
Des principes à respecter
L’ANATPE tient à rappeler son profond attachement aux principes qui fondaient l’ordonnance du 2 février 1945, relative à l’enfance délinquante : une justice spécialisée pour les mineurs, avec des procédures et des magistrats particuliers ; la primauté de l’éducatif sur le répressif ; l’atténuation de la responsabilité pénale.
L’ordonnance de 1945, signée par François de Menthon, ministre de la Justice du gouvernement provisoire de la République française dirigé par le général de Gaulle, intervient dans le contexte de la fin de la Deuxième Guerre mondiale et du rétablissement de la démocratie après l’expérience de l’État français (ou régime de Vichy). Elle rappelle dans l’exposé de ces motifs « Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et, parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. La guerre et les bouleversements d’ordre matériel et moral qu’elle a provoqués ont accru dans des proportions inquiétantes la délinquance juvénile. La question de l’enfance coupable est une des plus urgentes de l’époque présente. Le projet d’ordonnance ci-joint atteste que le Gouvernement provisoire de la République française entend protéger efficacement les mineurs, et plus particulièrement les mineurs délinquants. »
Les principes directeurs de la justice pénale des mineurs, consacrés par le Conseil constitutionnel, ont été repris dans l’article préliminaire du Code de la justice pénale des mineurs (CJPM) entré en vigueur le 30 septembre 2021. Selon celui-ci : « Le présent code régit les conditions dans lesquelles la responsabilité pénale des mineurs est mise en œuvre, en prenant en compte, dans leur intérêt supérieur, l’atténuation de cette responsabilité en fonction de leur âge et la nécessité de rechercher leur relèvement éducatif et moral par des mesures adaptées à leur âge et leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées. »
Des annonces pertinentes ?
Parmi les propositions avancées par le Premier ministre, si on laisse de côté les « travaux d’intérêt éducatif » qui se sont transformés en simples « mesures d’intérêt éducatif », dispositif finalement inséré dans des cadres juridiques déjà existants (stages de formation civique et de citoyenneté comme alternative aux poursuites ou composition pénale) par la circulaire du 30 avril 2024, d’autres méritent quelques remarques.
Introduire la comparution immédiate pour les mineurs de 16 ans récidivistes ?
Le Code de la justice pénale des mineurs donne déjà au tribunal pour enfants, à titre exceptionnel et sous certaines conditions, la possibilité de juger en audience unique les mineurs dans un délai d’un mois après une éventuelle garde à vue. N’oublions pas que l’un des objectifs de la réforme de la justice pénale des mineurs était de juger au plus près de l’acte commis par le mineur, objectif d’ailleurs atteint puisque les délais de jugement ont considérablement diminué.
Revenir sur « l’excuse atténuante de minorité » ?
D’ores et déjà, le Code de la justice pénale des mineurs permet aux juridictions pour mineurs d’écarter, sous certaines conditions, l’atténuation de la responsabilité pénale pour les mineurs de 16 à 18 ans. En pratique, on constate que les parquets requièrent très rarement l’application de cette exception qui n’est par ailleurs quasiment jamais activée par les juges dans leur décision. Ne perdons pas de vue que l’autre objectif de la réforme était de juger au plus près de la personnalité du mineur, respectant en cela le principe d’individualisation.
Placer le jeune dans un foyer afin de couper de « ses mauvaises fréquentations » ?
Rappelons que le module de placement prévu par le CJPM comme l’une des briques de la mesure éducative judiciaire est peu prononcé en raison des difficultés de trouver une place d’accueil au sein d’une structure adaptée à la problématique du mineur.
Instaurer des peines de travail d’intérêt général pour les parents « défaillants » ?
En vertu du principe de la responsabilité personnelle en matière pénale, seule la responsabilité civile les parents du fait de leurs enfants mineurs peut être engagée. Certes, il existe depuis la loi du 5 mars 2007, en tant qu’alternative aux poursuites ou peines complémentaires, des stages de responsabilité parentale susceptibles d’être prononcés à l’encontre des parents, auteurs d’infraction en matière d’autorité parentale, afin de leur rappeler leurs obligations parentales. Outre les incertitudes quant aux contours de cette infraction, ces stages sont rarement mis en place en raison d’un déficit de temps et de moyens. En revanche, une véritable politique de soutien à la parentalité doit être mise en place, ce qui fait d’ailleurs partie des annonces gouvernementales.
Renforcer la prévention
Au lieu de brandir une fois de plus l’étendard de la répression, inutile en présence de tout l’arsenal législatif idoine, il est urgent de s’attaquer aux causes de la délinquance juvénile, de relancer la politique de la ville et de donner les moyens humains et matériels à l’école, à la police, à la justice afin de leur permettre d’exercer correctement leurs missions.
Toutes les dispositions qui tendent à rapprocher la justice des mineurs de celle des majeurs contreviennent à l’esprit qui animait les rédacteurs de l’ordonnance de 1945, repris par le CJPM.
Nous, assesseurs des tribunaux pour enfants, citoyens fortement impliqués dans la justice pénale des mineurs, nous souhaitons que ces principes et cet esprit soient préservés afin d’accompagner au mieux les mineurs concernés vers la sortie de délinquance et vers l’insertion, chemin souvent chaotique, fait parfois de rechutes, mais souvent de succès.
Pour l’ANATPE,
Son président, Guillaume JOUBERT